Chaque premier jour du mois, hors juillet et août, je proposerai ici un conte écrit. Ceux que je reprends sont issus de contes traditionnels du monde en général et de la Bretagne en particulier. Je ne les écris ni ne les dis jamais tels que lus ou entendus. Je les remets dans mes mots, dans ma sensibilité, soit en les retouchant un peu, soit en les transformant profondément. Mais je reste attentif à la symbolique du conte.
Quand je peux, j’indique où j’ai trouvé le conte que je vous propose. Mais des fois je ne sais plus trop…
L’écriture de ces contes est simple. Il le faut pour que le futur auditeur puisse suivre sans décrocher. Le conte prend sa pleine puissance, sa pleine vie, grâce à la conteuse, au conteur. Là aussi est la magie !
Au fait, je suis preneur de contes à vous, n’hésitez pas à m’en envoyer à titre de partage. Soit c’est le même conte mais avec une autre version, soit c’est un conte autre à votre manière.
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01/12/18 : La minuit de Noël
Il était une fois, une fois il était, un chercheux de pain, un pauv’ miséreux. Ce jour-là, le chercheux de pain marche sur les chemins de l’hiver, la nuit l’a déjà enveloppé dans son froid manteau depuis un moment. C’est le soir de Noël. Il frappe à la porte d’une maison. On laisse le chien lui aboyer dessus jusqu’à ce qu’il reparte. Il reprend le chemin dans le froid d’un vent pointu qui souffle de l’est. Il frappe à la porte d’une autre maison. On l’envoie voir plus loin si le ciel l’aidera. Des petits flocons de neige se mettent à voler autour de lui. Il frappe à la porte d’une ferme. Là, on le reçoit avec respect et charité. On le laisse retrouver sa chaleur auprès du feu. On lui donne sa portion d’invité : du boudin et de la bouillie de froment au miel.
Puis il va se coucher dans l’étable, entre un âne vieux et un bœuf pas bien jeune, pour ne pas avoir froid. Quand sonne la minuit de Noël, les deux bêtes se mettent à parler le langage des hommes. C’est une grâce qu’ils ont reçue parce que des ancêtres à eux avaient réchauffé l’enfant Jésus dans sa crèche.
– Ah, mon compère l’âne, c’est l’heure, le menhir dans le champ derrière va aller boire à la rivière.
– Oui, mon compère le bœuf, et le grand trésor qui est à son pied va se trouver découvert.
Vous savez, il est très imprudent d’essayer d’aller se servir dans le trésor laissé à découvert, quand les mégalithes partent boire en des nuits exceptionnelles. Prévenus par on ne sait quelle magie, les menhirs reviennent rapidement sans bruit et reprennent leur place en crabouillant ceux qui piochent dans leur trésor.
Le chercheux de pain a entendu ce qu’ont dit l’âne et le bœuf. Il part dans le champ derrière. Incroyable, le pauv’ miséreux revient, même pas crabouillé, les poches pleines, les yeux tout brillants ! Pourquoi, comment ? Peut-être que je sais, peut-être que je sais pas. La prochaine fois, promis, je vous dirai tout. Mais alors vous me paierez un coup !
Le lendemain matin, le pauv’ miséreux va remercier pour l’accueil. En sortant, il voit dehors sur le seuil de la porte, les sabots de la fermière et ceux du fermier côte à côte. Il glisse dans chaque paire de sabots quelques pièces d’or et repart dans le froid, un sourire sous sa barbe, les joues rougies par le froid, les yeux pétillants de malice.
Bientôt, les gens sont étonnés d’apprendre que le chercheux de pain s’est acheté la petite maison à la croisée des quatre chemins. Le beau temps revenu, on le trouve assis sur les trois marches de sa maisonnette, il raconte des histoires aux enfants de passage. Puis, l’automne suivant, il reste devant le feu de sa cheminée. Les enfants qui maintenant le connaissent bien, entrent chez lui sans frapper. Le vieux bonhomme leur raconte encore des histoires, toujours avec un sourire sous sa barbe blanche, les joues rougies par la bonne chaleur du feu, les yeux pétillants de malice. L’histoire qu’il préfère raconter est celle d’un âne et d’un bœuf qui se mettent à parler à la minuit de Noël. Celle-là, qu’est-ce qu’il la raconte bien !
Commentaire La minuit de Noël
Je suis parti notamment d’une légende traditionnelle de Noël pour bricoler ce petit conte. Des animaux qui parlent aux douze coups dans la nuit de Noël, on en trouve dans bien des endroits. Particulièrement l’âne et le bœuf, pour services rendus !
Cette nuit-là, les animaux étaient bien soignés pour être de la fête eux aussi. Après, il fallait les laisser tranquilles et surtout ne pas les écouter. Le risque pouvait être d’entendre son nom cité comme prochain mort de la famille.
05/11/18 : Le faiseur de paniers
Il était une fois, une fois il était, un faiseur de panier qui a pour nom Ilan. Toute la journée ses mains tressent dans la patience régulière. Mais il travaille seul du matin jusqu’au soir, si bien qu’il finit par se déshabituer de paroles, oui, se déshabituer de paroles.
Un jour, l’osier vient à manquer. Ilan n’hésite pas. Il embrasse sa femme et met le chemin sous ses pas pour gagner une vallée où il a entendu dire que pousse le plus bel osier. Il y trouve en effet des bouées touffues, dressées vers le ciel. Il commence à en tailler une brassée. Un brouillard à couper avec sa serpette s’épaissit autour de lui. Au bout d’un moment, le froid lui tombe sur les épaules, un frôlement de peur se glisse sous sa chemise. Mais voilà qu’il aperçoit vers l’ouest une lumière. Il marche à cette lueur en trébuchant plus d’une fois. C’est une maison. Il toque à la porte. On l’invite à entrer. A l’intérieur un vieux et une vieille le saluent par son nom et lui proposent de s’asseoir entre eux deux. Les vieux commencent à lui parler de morceaux de temps d’hier et d’aujourd’hui. Puis l’homme demande à Ilan :
– Raconte-nous une histoire !
– Mais je ne sais pas, s’il y a bien une chose que je n’ai jamais faite de ma vie, c’est raconter une histoire.
– Tu ne connais aucune histoire ?
– Aucune !
La femme tend le seau à Ilan :
– Va tirer de l’eau au puits, allez, fais quelque chose pour te rendre utile.
Le puits est profond, profond. Ilan n’en finit pas de laisser glisser la corde qui lui échauffe les mains. Puis il peine à remonter cette puisée de la profondeur. Il pose le seau sur la margelle, y plonge les mains pour les rafraîchir. A cet instant, une formidable bourrasque de vent le soulève dans les airs, comme feuille en tourbillon.
Quand Ilan retombe, il a le plancher d’un canot de pêche sous les pieds. Tous les hommes tirent en cadence sur les avirons, les pognes crispées. Il semble que le canot s’enfonce doucement. Un gémissement déchirant s’élève. Deux mains ruisselantes, décharnées, saisissent le bord du canot, puis quatre et six, puis des dizaines. Les hommes sont obligés de lâcher les avirons. Maintenant, tout un peuple de mains se dresse alentour hors de la mer qui n’est plus que plainte dans un vent de lamentation. Les hommes livides, restent figés. Sauf un qui réussit à hisser la voile pour dégager au vent. Le canot frémit mais remonte bout au vent. Le hisseur crie :
– Un barreur, faut un barreur !
Mais voilà qu’un jeune marin montre Ilan au doigt :
– Celui-ci est le meilleur barreur du pays, c’est Ilan !
– Mais je ne sais pas, s’il y a bien une chose que je n’ai jamais faite de ma vie, c’est barrer un bateau.
– Tu ne sais pas barrer un bateau ?
– Non, ni régler les voiles !
Mais on le pousse à l’arrière. Il tombe assis sur le banc et pose les mains sur la barre pour se rattraper. A cet instant, une formidable bourrasque de vent le soulève dans les airs, comme feuille en tourbillon.
Quand Ilan retombe sur ses pieds, il est devant un bâtiment décoré de faïences colorées. Il entre prudemment. Il gagne une grande pièce envahie d’une vapeur chaude et parfumée. Il finit par apercevoir un bassin où se baigne un groupe de femmes. Elles se donnent des caresses entre elles. Leurs hommes sont en mer, ou à la guerre, ou aux affaires. A un moment, elles se lèvent et l’eau ruisselle abondamment de la source de leurs cheveux. Mais voilà qu’une jeune femme montre Ilan au doigt :
– Voyez comme celui-ci est fort, comme il est beau. Pour nous mignonner comme il faut, il est le meilleur du pays, c’est Ilan !
– Mais je ne veux pas, s’il y a bien une chose que je n’ai jamais faite de ma vie, c’est tromper ma vannière.
– Tu ne veux pas nous mignonner ?
– Non, ni d’autre manière.
La femme s’approche dans sa pleine nudité. Elle prend les mains d’Ilan. A cet instant, une formidable bourrasque de vent le soulève dans les airs, comme feuille en tourbillon.
Quand Ilan retombe sur ses pieds, il se retrouve en haut d’une falaise. Une large rivière déroule son ruban d’argent dans le fond de la vallée profonde. Une île de bouquets de saules et de verte prairie partage le cours en deux : l’Ile aux Oiseaux. Près d’Ilan, une assemblée de gens vêtus d’étranges robes entonne un psaume dans un langage inconnu. Puis, celui qui semble le maître réveille l’écho de la vallée. Il parle de peurs incertaines et de rêves inachevés. Il dit convoquer les forces profondes pour qu’enfin l’un d’entre eux prenne son envol et rejoigne, par les airs, l’Ile aux Oiseaux. Mais voilà qu’une jeune femme montre Ilan au doigt :
– Celui-ci sait si bien voler, c’est Ilan.
– Mais je ne sais pas, s’il y a bien une chose que je n’ai jamais faite de ma vie, c’est voler comme un oiseau.
– Comment ça, tu n’as jamais été emporté par le grand tourbillon ?
– Mais je n’ai rien voulu, je ne sais pas comment tout cela est arrivé !
On lui tend une de ces étranges robes. A l’instant où ses mains touchent l’étoffe, une formidable bourrasque de vent le soulève dans les airs, comme feuille en tourbillon.
Quand Ilan retombe les pieds sur terre, il se retrouve devant le puits profond où il s’est échauffé les mains. Le seau est là, sur la margelle. Il le prend et retourne à la maison. Le vieux et la vieille sont toujours assis exactement là où il les a laissés. Il reprend sa place entre les deux. La femme le regarde dans les yeux de la figure et, peut-être, jusque dans les yeux du dedans :
– Alors, faiseur de paniers, toujours rien à raconter ?
Le « prétexte » de ce conte, ce qui le fait fonctionner, est emprunté à un conte traditionnel irlandais. Pour le reste, du début à la fin je l’ai écrit, avec inspiration de Per-Jakez Hélias pour le passage sur le canot, car le conte de départ ne me convenait pas. J’adore le raconter, le final laissant toujours un temps de suspens chez les auditeurs.
Et ainsi est bouclée la première année du conte du mois.
01/10/18 : Les trois filles
(d’après un conte traditionnel de Haute Bretagne… et d’ailleurs !)
Il était une fois, une fois il était, un veuf qui reste avec sa peine. Il n’a plus de femme mais ses trois filles sont le trésor de sa vie. Les deux aînées se préoccupent beaucoup de leurs vêtements, elles exigent de belles robes. Elles se préoccupent aussi beaucoup de leur mine et passent leur temps devant le miroir à se bichonner, à se pomponner, à s’admirer.
La troisième est aussi jolie que ses deux aînées. Avec ses taches de douceur sur les joues, son regard franc, elle paraît ensoleillée comme un jour de mai. Elle est si gaie qu’elle ferait jouer de la musique à une flûte cassée. C’est elle qui fait tout l’ouvrage à la maison. Ses deux aînées la commandent comme une servante, se moquent d’elle. Mais elle ne se plaint jamais, pour ne pas aggraver la peine de son père qu’elle aime tant.
Ce jour-là, le père annonce à ses filles qu’il doit aller à la ville pour des rendez-vous. Il leur demande si elles ont besoin de quelque chose. Les deux aînées font tout de suite une liste avec des vêtements colorés, du maquillage, du parfum. La plus jeune ne demande rien. Le père insiste. Alors, elle lui propose de rapporter une simple rose, s’il le peut.
Le père part à ses rendez-vous. Puis il fait les achats au mieux pour ses deux aînées. Mais par malchance, il a beau chercher, il ne trouve pas de rose. Il finit par décider de rentrer, bien triste de ne pouvoir faire plaisir à sa plus jeune.
En chemin, il passe devant un parc dont le portail en fer forgé est ouvert. Au fond, il aperçoit un château aux larges fenêtres, aux nombreuses cheminées. Une allée de gravier clair y conduit, entouré de pelouses comme des tapis. Son regard est attiré par des parterres de fleurs généreux, colorés. Et dans ces parterres : des roses ! Il ne résiste pas, avance de quelques pas dans l’allée et cueille une rose. Juste à ce moment-là, il entend une voix toute rouillée, inquiétante, qui lui demande qui l’a autorisé à toucher à ses roses. Il se retourne et découvre, horrifié, une Bête hideuse, repoussante. Elle lui annonce que celui qui touche à ses roses doit mourir ! Elle veut savoir pourquoi il a fait ça. Tout tremblant, le père demande pardon, c’est vrai, il n’aurait pas dû, mais il explique la demande de sa plus jeune fille. La Bête répond de la même voix effrayante qu’elle veut bien lui pardonner mais à une condition : que la jeune fille à qui cette rose était destinée, accepte de l’épouser !
Épouser une telle Bête ? Le père s’en retourne chez lui désespéré. Il donne aux aînées leurs achats. Quand il offre la rose à sa plus jeune, il se met à pleurer et ne peut se retenir de lui expliquer pourquoi. Elle répond à son père qu’elle aime tant, qu’il n’est pas question de le laisser mourir. Il proteste, comment être l’épouse d’une si vilaine Bête ? Elle redit qu’elle ne veut pas le voir mourir, que dès le lendemain elle se rendra au château.
La jeune fille s’était préparée à rencontrer une vilaine Bête. En arrivant au château, elle est pourtant effarée par ce qu’elle découvre, elle n’a qu’une envie c’est de partir bien vite. Mais la vilaine Bête la prend par la main et l’emmène dans la salle à manger du château. La jeune fille est éblouie par la table couverte d’une nappe blanche brodée, avec cent chandelles allumées. On lui sert des mets délicats dans de la vaisselle d’argent. Elle y touche à peine. La Bête reste assise en face d’elle et ne cesse de la regarder. Puis elle reprend la jeune fille par la main. Ils montent un large escalier tournant couvert de tapis moelleux. Ils arrivent dans une chambre éclairée de bougies, décorée de bouquets de fleurs. Au milieu de la pièce : un grand lit. La jeune fille reste là tremblante au pied du lit. La Bête la regarde encore. Puis elle lui souhaite une bonne nuit et sort. Épuisée par ces émotions, la jeune fille finit par se jeter sur le lit mais en tachant de garder les yeux ouverts tant elle reste dans sa crainte profonde.
Bien des jours passent ainsi, dans le luxe. Elle reçoit de nombreux cadeaux, les plus beaux bijoux. La jeune fille semble apercevoir dans les yeux de la Bête comme une tristesse, comme une tendresse.
Un jour, la Bête lui annonce qu’ils iront à une fête le lendemain. Elle précise : « A la fin du banquet je monterai sur la table et je dirai : Ne suis-je pas une bonne et belle Bête ? Alors vous répondrez : Bête, ô Bête implorante, je t’écoute et je suis confiante. Promettez-moi que vous le direz ! » La jeune fille ne peut faire que promettre. Le lendemain, à la fin du banquet, la Bête monte sur la table : « Ne suis-je pas une bonne et belle Bête ? » Pas de réponse de la jeune fille. Une deuxième fois plus fort : « Ne suis-je pas une bonne et belle Bête ? » Pas de réponse. Une troisième fois encore plus fort : « Ne suis-je pas une bonne et belle Bête ? » Toujours pas de réponse. La Bête descend de la table, prend la jeune fille par la main et l’entraîne vers son carrosse tiré par quatre chevaux blancs. La jeune fille est profondément inquiète de ce qui vient de se passer et, plus encore, de ce qui va arriver. Pourtant la vie reprend son cours comme avant.
Quelques temps après, la Bête lui annonce à nouveau qu’ils iront à une fête le lendemain. Encore une fois elle précise : « A la fin du banquet je monterai sur la table et je dirai : Ne suis-je pas une bonne et belle Bête ? Alors vous répondrez : Bête, ô Bête implorante, je t’écoute et je suis confiante. Promettez-moi que vous le direz ! » La jeune fille ne peut faire que promettre encore une fois. Le lendemain, à la fin du banquet, la Bête monte sur la table : « Ne suis-je pas une bonne et belle Bête ? » Pas de réponse de la jeune fille. Une deuxième fois avec colère : « Ne suis-je pas une bonne et belle Bête ? » Pas de réponse. Une troisième fois avec tristesse : « Ne suis-je pas une bonne et belle Bête ? » Et là, la jeune fille surmonte sa peur : « Bête, ô Bête implorante, je t’écoute et je suis confiante. » A cet instant, une lumière vive envahit la salle, tout le monde est ébloui. Puis la lumière se dissipe, et, à la place de la Bête, on voit un prince qui descend de la table, prend la jeune fille par la main et la fait danser. Ils dansent ensemble toute la soirée et repartent tard dans le carrosse tiré par quatre chevaux blancs.
Je ne peux pas vous décrire pour de vrai leur noce, vous ne pourriez pas me croire. C’est sûr que le prince et sa princesse ont dansé, dansé, dansé. Le père de la mariée, lui, n’a pas dansé. Il est resté assis, un doux sourire aux lèvres, ses mains ouvertes comme des ailes, sur ses genoux.
Mois d’octobre, mois du marron dans le Pays de Redon : un mois d’animation autour de la culture populaire traditionnelle. Et, point d’orgue, le week-end de La Bogue les 27 et 28 octobre. Dès le vendredi soir : concours de conteurs. Mais aussi le dimanche après-midi : scène ouverte aux conteurs. Si vous voulez participer, prenez contact avec moi (voir à la fin du site).
J’ai donc choisi un conte traditionnel de Haute Bretagne. Mais les contes sont de grands voyageurs !…
01/09/18 : Le p’tit cochon de Mam’ Michon
(d’après un conte traditionnel aux nombreuses versions)
Il était une fois, une fois il était, une fermière, Mam’ Michon, et son petit cochon. De temps en temps, Mam’ Michon emmène son petit cochon dans la forêt, sous les grands chênes, là où on trouve plein de glands. Le petit cochon se régale avec les glands.
Bon, ce jour-là Mam’ Michon emmène son petit cochon dans la forêt sous les grands chênes. Et le petit cochon mange des glands autant comme autant. Au bout d’un moment le ventre du petit cochon devient tout rond et c’est l’heure pour Mam’ Michon de rentrer pour préparer la soupe :
– Petit cochon, ça suffit comme ça, rentrons à la maison !
Mais le petit cochon fait sa tête de cochon, les glands sont trop bons, il ne veut pas rentrer à la maison.
Bon sang de bois ! Mam’ Michon va trouver le bâton :
– Bâton, il faut taper le petit cochon qui fait sa tête de cochon.
– Non, non, non, le petit cochon ne m’a rien fait, moi je ne lui ferai rien !
Bon sang de bois ! Mam’ Michon va trouver le feu :
– Feu, il faut brûler le bâton, il ne veut pas taper le petit cochon qui fait sa tête de cochon.
– Non, non, non, le bâton ne m’a rien fait, je ne lui ferai rien !
Bon sang de bois ! Mam’ Michon va trouver le ruisseau :
– Ruisseau, il faut éteindre le feu, il ne veut pas brûler le bâton qui ne veut pas taper le petit cochon qui fait sa tête de cochon.
– Non, non, non, le feu ne m’a rien fait, je ne lui ferai rien !
Bon sang de bois ! Mam’ Michon va trouver la vache :
– Vache, il faut boire le ruisseau qui ne veut pas éteindre le feu qui ne veut pas brûler le bâton qui ne veut pas taper le petit cochon qui fait sa tête de cochon.
– Non, non, non, le ruisseau ne m’a rien fait, je ne lui ferai rien !
Bon sang de bois ! Mam’ Michon va trouver le boucher :
– Boucher, il fait tuer la vache qui ne veut pas boire le ruisseau qui ne veut pas éteindre le feu qui ne veut pas brûler la bâton qui ne veut pas taper le petit cochon qui fait sa tête de cochon.
Alors le boucher, comme c’est son métier, prend un grand couteau bien aiguisé pour aller tuer la vache. Mais la vache a tout compris :
– Oulalalala, plutôt que d’être tuée par le boucher, je préfère encore boire le ruisseau !
Mais le ruisseau a tout compris :
– Oulalalala, plutôt que d’être bue par la vache, je préfère encore éteindre le feu !
Mais le feu a tout compris :
– Oulalalala, plutôt que d’être éteint par le ruisseau, je préfère encore brûler le bâton !
Mais le bâton a tout compris :
– Oulalalala, plutôt que d’être brûlé par le feu, je préfère encore taper le petit cochon qui fait sa tête de cochon !
Mais le petit cochon a tout compris :
– Oulalalala, plutôt que d’être tapé par le bâton, je préfère encore arrêter de faire ma tête de cochon, je rentre à la maison !
Alors, personne ne fait de mal à personne. Le petit cochon rentre à la maison et Mam’ Michon prépare sa soupe.
Moi je vous le dis, au jour d’aujourd’hui, si Mam’ Michon et son petit cochon ne sont pas morts, c’est qu’ils vivent encore !
En pensant aux enfants à la veille de la rentrée scolaire, voici un conte dit « de randonnée » car de structure répétitive. C’est comme un jeu, comme une chanson. Les enfants se laissent emporter par le tourbillon de mots d’une narration souvent naïve. Et là, en plus, il y a en quelque sorte un double tourbillon, renforcé d’assonances.
Ce conte offre de très nombreuses versions. La mienne est raccourcie d’une séquence ou deux.
01/06/18 : L’ogre et le saint homme
(d’après un conte traditionnel berbère)
Il était une fois, une fois il était, il y a de cela un long temps, dans une tribu berbère, un saint homme dont le nom très long commence par Sidi, ce qui veut dire respectueusement « Seigneur ». Pour simplifier, nous pourrons donc l’appeler « Sidi » respectueusement.
Sidi le saint homme est tout en longueur et courbé comme un roseau dans le vent. Il a pour serviteur et compagnon Driss, juste content de vivre dans sa djellaba fatiguée. Tous deux partent un jour pour un grand voyage à pied afin de découvrir le monde. Ils n’emportent qu’un seul sac en toile grise dans lequel ils rassemblent tout leur nécessaire et qu’ils portent chacun leur tour. Tous les soirs, Sidi demande à Driss, par précaution, de ne pas laisser le sac par terre. Driss trouve toujours une branche à proximité pour suspendre le sac.
Ils marchent des jours, des mois, des années. Ils traversent des régions étonnantes, ils rencontrent des peuples étranges.
Un jour, enfin, ils arrivent au bout du monde, là où la terre et le ciel se rejoignent. Ne pouvant aller plus loin, ils s’arrêtent pour dormir. Comme à chaque fois Sidi demande à Driss de ne pas laisser le sac par terre. Ne trouvant pas d’arbre, Driss accroche le sac à une étoile à portée de main. Le lendemain, plus de sac pour préparer le thé, il a disparu et l’étoile aussi ! C’est alors que passe un étranger qui les trouve tout perdus, il les questionne. Il leur conseille de rester là jusqu’à l’heure où le sac a été accroché à l’étoile parce qu’elle réapparaîtra sûrement. Sidi et Driss font comme a dit l’étranger. De fait, à la même heure, l’étoile réapparaît à la place exacte de la veille avec le sac accroché. Sidi et Driss le reprennent et essaient de trouver un autre chemin afin de poursuivre leur voyage.
Mais au bout d’un long temps, ils se trouvent toujours dans les déserts qui sont au bout du monde. Ils n’ont plus rien à manger, ils ont faim. Ils finissent par apercevoir, du sommet d’une colline, un grand troupeau de moutons gardé par un berger qui, même de loin, semble d’une taille exceptionnelle. Les deux voyageurs s’avancent, un peu sur leurs gardes mais poussés par la faim. Plus ils approchent, plus ils constatent que ce berger est vraiment étrange. Il est d’une taille encore plus grande que ce qu’ils avaient imaginé. Il est vêtu de peaux de bêtes et s’appuie sur un gros épieu, la pointe en l’air. Quand il tourne sa figure vers eux, ils sont stupéfaits de constater qu’il n’a qu’un seul œil au milieu du front. Driss, effrayé, fait remarquer à son maître qu’il ne peut s’agir que d’un agerzam, c’est-à-dire un ogre, il veut s’enfuir. Le cœur du saint homme ne connait pas la crainte. En plus il dit à Driss que s’ils voulaient s’enfuir, le berger, vu ses grandes jambes, ne serait pas long à les rattraper. Sidi s’approche du géant :
– La paix sur toi !
L’autre ne répond même pas « Sur toi la paix » comme il se doit. Il leur demande qui ils sont. Sidi les présente et demande de la nourriture et l’abri pour la nuit. Le berger à l’œil unique éclaire alors son visage d’un large sourire et leur souhaite la bienvenue. Il leur montre l’entrée d’une caverne qui est sa maison et celle de ses moutons. Quand bêtes et gens sont rentrés dans cette caverne, le berger invite Sidi et Driss à se reposer le temps de préparer à manger. Il égorge deux moutons qu’il fait cuire sur un grand feu. Les odeurs de viande grillée se mélangent avec celle du suint des moutons. Lorsque le méchoui est cuit à point, les voyageurs sont invités à se rassasier. En fait, le berger engloutit les trois-quarts du festin à lui tout seul. A la fin du repas, il dit :
– Je ne trouve pas juste que l’un offre tout et les autres rien. Je vous ai donné de la viande, vous m’en donnerez aussi. Avez-vous bien mangé ?
– Oui, répondent en chœur Sidi et Driss.
– Eh bien moi non ! Mais je ne suis pas exigeant, un seul de vous deux me suffira, vous allez tirer au sort.
Avec grand calme Sidi lui répond :
– Je vois que tu ne connais pas bien les sciences de la médecine. Sais-tu qu’il est très mauvais de manger de la chair humaine après le coucher du soleil. Il arrive que cela noue l’estomac et provoque la mort.
L’ogre est crédule :
– Es-tu sûr de ce que tu avances étranger ?
– Absolument certain. Je te conseille vraiment d’attendre demain pour te régaler sans craindre une mauvaise digestion.
L’ogre décide de laisser passer la nuit. Mais il va se coucher en travers de l’entrée de la grotte pour empêcher toute sortie, son gros épieu à côté de lui. Bientôt ses ronflements emplissent la caverne comme le grondement du tonnerre à travers les montagnes. Les voyageurs n’ont pas d’effort à faire pour rester éveillés. En pleine nuit, éclairés par les restes du feu, le saint homme et ses ombres s’approchent sans bruit du géant. Sidi prend l’épieu et, rassemblant toutes ses forces, plonge la pointe dans l’œil unique de l’ogre. Le géant se met à hurler de douleur. Il se lève, tout barbouillé de sang, et cherche partout à tâtons les voyageurs en jurant de les tuer tous les deux. Sidi et Driss se réfugient au milieu du troupeau de mouton. Au bout de la nuit, la fraîcheur du matin signale au berger aveugle qu’il est temps de faire sortir ses moutons. Il rugit à l’intention des voyageurs :
– J’ai perdu la vue mais vous n’échapperez pas à mes mains !
Le géant se place à l’ouverture de la grotte, accroupi. Il ne laisse sortir les moutons qu’un par un entre ses jambes, en passant sa main épaisse sur leur dos pour être sûr de reconnaître la laine. Alors Sidi et Driss se recouvrent chacun d’une des deux peaux des moutons du méchoui de la veille. A quatre pattes ils franchissent tous deux la sortie, le géant ne se rend pas compte que sous la peau de mouton se trouvent les deux voyageurs. Dès qu’ils se sont un peu éloignés, ils se redressent et partent bien vite en courant, laissant l’agerzam à sa fureur.
Ce n’est que bien des années plus tard que les deux voyageurs rentrent chez eux. Ils passent le reste de leur vie à l’ombre d’un arbre, à raconter leurs aventures et leurs découvertes, les régions étonnantes et les peuples étranges. Accroché à une branche au-dessus d’eux : le sac de toile grise rempli de souvenirs et d’histoires.
Des conteurs berbères racontent encore aujourd’hui cette histoire de l’agerzam, cet ogre à l’œil unique. Certains ont entendu dire qu’un livre grec très ancien parle d’un certain Oulysse qui aurait rencontré un agerzam appelé Kiclopès. Ces conteurs sont très fiers de savoir qu’un conte berbère a traversé les âges et les pays. Mais ils ne sont pas vraiment étonnés car ils savent bien que les contes, eux aussi, sont de grands voyageurs.
« Dans ce temps-là, sur la place El-Hédime à Meknès, devant le Bab-el-Mansour, des conteurs se réunissent le soir. Ils sont assis sur des nattes autour de tasses de café odorant ou de thé à la menthe. Là ils racontent sans se lasser, ni lasser les gens qui les écoutent. »
J’ai trouvé ça dans un livre juste avant de partir en stage à Meknès au Maroc !
Le conte que je vous propose est inspiré d’un conte berbère. J’ai ajouté une partie à la fin qui n’existe pas dans le conte berbère. Mais c’est vrai, « les contes, eux aussi, sont de grands voyageurs » !
Comme annoncé au début de cette page « Le conte du mois » : pause en juillet et août ». Alors, rendez-vous au 1er septembre !
07/05/18 : Le Chevalier de l’Etoile
(d’après un conte traditionnel de Haute Bretagne… et d’ailleurs)
Il était une fois, une fois il était, un pêcheur qui passe ses journées dans sa barque dessus la mer. Le soir il rejoint sa petite maison où il vit pauvrement avec sa femme qui se désole de ne pas avoir d’enfant. Ce jour-là, le pêcheur attrape un poisson d’une belle taille. Mais depuis le fond de la barque, le poisson se met à parler :
– S’il te plait, pêcheur, remets-moi à l’eau !
– Ah non, que dit le pêcheur, dans les histoires c’est toujours comme ça, le poisson parle et il faut le remettre à l’eau, mais pas d’histoire avec moi ! Je n’ai rien pris depuis trois jours, je n’ai plus d’argent, il me faut aller te vendre au marché.
– Alors pêcheur, écoute-moi bien. Plutôt que de me vendre au marché, tu vas m’emporter chez toi. Avec ta femme vous mangerez ma chair et bientôt elle attendra un bébé. Vous donnerez l’eau de cuisson à boire à votre jument et bientôt elle attendra un poulain. Enfin, vous donnerez mes entrailles à manger à votre chienne et bientôt elle attendra un chiot.
Le pêcheur fait comme le poisson a demandé. Bientôt, sa femme attend un fils. Quand il naît, il est marqué d’une étoile au front. Bientôt la jument attend un poulain. Quand il naît, il est marqué d’une étoile au front. Enfin, bientôt la chienne attend un chiot. Quand il naît il est marqué d’une étoile au front.
Le fils du pêcheur grandit. Vers ses vingt ans il décide d’aller découvrir le monde. Il selle le cheval avec une étoile au front et siffle son chien avec une étoile au front. Il part. Il découvre que le monde est grand. Il rencontre de méchantes gens et de braves gens. Partout on l’appelle le Chevalier de l’Etoile.
Un jour il arrive dans une ville qui a pour nom Redon. C’est bizarre, les gens s’enferment chez eux, personne ne lui parle, tout le monde a l’air effrayé. Enfin, un vieux assis près d’une fontaine, lui explique. Non loin de là, sur une butte, la butte de Beaumont, habite une bête monstrueuse à sept têtes qui dévaste toute la région. Elle détruit les villages, brûle les récoltes, mange les enfants. N’écoutant que son courage, le Chevalier de l’Etoile décide de combattre la bête à sept têtes. Il se rend sur la butte de Beaumont. La bête arrive, horrible ! Elle pue de la gueule, et elle en a sept ! Il dégaine son épée, le combat commence, terrible. Le cheval rue, le chien mord. La bête crache du feu. A un moment, le chien réussit à serrer dans sa gueule le cou d’une des sept têtes. Le Chevalier de l’Etoile en profite et SCHLAK, il coupe cette tête ! La bête à six têtes s’en va. Le chevalier va soigner ses blessures et se reposer. Il revient le lendemain. Le combat reprend, terrible. Le cheval rue, le chien mord. La bête à six têtes crache du feu. A un moment, le chien réussit à serrer dans sa gueule le cou d’une des six têtes. Le Chevalier de l’Etoile en profite et SCHLAK, il coupe cette tête ! La bête à cinq têtes se retire. Et ainsi pendant sept jours. Le septième jour, quand la septième tête tombe, la terre de la butte de Beaumont se met à trembler. Le corps de la bête sans tête roule en bas de la butte et va s’enfoncer dans le marais. La bête monstrueuse disparaît à tout jamais dans la vase du marais.
Le Chevalier de l’Etoile, lui, prend le temps de soigner ses blessures et de se reposer. Les gens de Redon qui l’ont aidé à se soigner, qui lui ont offert des bons repas, auraient bien voulu le garder avec eux. Mais après quelques jours il repart avec son cheval et son chien à la découverte du monde. Et le monde est grand.
Croyez-moi, s’ils ne sont pas morts, c’est qu’ils sont encore vivants.
La mise en ligne de ce conte correspond à nouveau à une demande des agents territoriaux avec qui j’ai animé un stage d’initiation à l’art de conter. Je suis parti d’un conte traditionnel de Haute-Bretagne. Je n’en ai retenu qu’une partie que j’ai fortement réduite car j’avais besoin d’un conte court en fonction d’une certaine racontée. J’ai localisé le conte à Redon mais ça pourrait être n’importe où. Que ce soit dragon à sept têtes ou serpent, on retrouve cet animal fantastique dans bien des pays à travers le monde, dans diverses mythologies ou religions. Il a différents sens, souvent gardien des trésors ou bien il représente les forces obscures, l’esprit du mal.
Quand arrive le « SCHLAK », je le dit brusquement et très fort, rien que pour faire sursauter les enfants ! Mes petits enfants adorent, ils en redemandent…
01/04/18 : Le moulin magique
(d’après un conte traditionnel)
Il était une fois, une fois il était, un bûcheron. Il coupe du bois dans la forêt sur une colline. En bas de la colline : la mer. Au bord de la mer : un port. Dans ce port on construit des bateaux en bois ou on les répare. Alors le bûcheron coupe du bois d’à haut pour fabriquer ou réparer les bateaux d’à bas. Il n’est pas bien riche, il habite une petite maison où il vit de pas grand-chose. Un soir, alors que le bûcheron prépare sa soupe, on frappe à la porte. Il va ouvrir : c’est un korrigan, avec un bonnet rayé !
– Bonsoir bûcheron, j’ai faim, as-tu quelque chose à manger ?
– Entre, tu vas manger la soupe avec moi.
C’est ce qu’ils font. Le korrigan se régale de bonne soupe, il se frotte le ventre :
– Bûcheron tu es généreux, je vais te faire un cadeau pour te remercier.
Il cherche dans sa besace.
– Voilà pour toi un moulin magique. Il suffit de lui dire « Petit moulin, il faut me moudre ceci ou cela, et me le moudre bien vite ! » Et aussitôt tu auras ceci ou cela. Mais attention, écoute bien, pour l’arrêter il faut lui dire : « Mouli-moula, petit moulin arrête-toi ! »
Et le korrigan s’en va.
Aussitôt le bûcheron veut essayer le moulin magique. Il sort dans sa cour : « Petit moulin, il faut me moudre une belle maison et me la moudre bien vite ! » Le moulin se met à moudre une jolie maison : les murs, la porte et les fenêtres, le toit. Juste quand le haut de la cheminée est terminé, le bûcheron dit : « Mouli-moula, petit moulin arrête-toi ! » Le moulin s’arrête !
Le bûcheron entre dans sa jolie maison mais elle est vide. Il reprend le moulin : « Petit moulin, il faut me moudre des meubles et des affaires et me les moudre bien vite ! » Aussitôt le moulin se met à moudre des meubles et des affaires : une table, des chaises, un buffet, de la vaisselle dans le buffet, une armoire dans la chambre, des affaires dans l’armoire, un lit avec une couette chaude. Juste quand l’oreiller est fini, le bûcheron dit : « Mouli-moula, petit moulin arrête-toi ! » Le moulin s’arrête !
Le lendemain soir, le bûcheron rentre de la forêt bien fatigué. Il n’a plus de soupe de prête. Oh, il se dit, j’ai mon moulin : « Petit moulin, il faut me moudre de la soupe et me la moudre bien vite ! » Il pose le moulin sur la soupière. Tiens, il se rappelle qu’il a oublié de rendre un outil au voisin depuis plusieurs jours, il décide de faire un saut vite fait. Oui, mais le voisin c’est un gars qui bat de la goule, puis faut prendre un verre. Pendant ce temps-là, la soupe remplit la soupière, déborde, envahit la cuisine, sort dans la cour, remplit le village tout entier. A un moment, le bûcheron voit de la soupe entrer par-dessous la porte du voisin ! Ah, bon d’là, le bûcheron repense au moulin qu’il a oublié. Il trouve une grande planche qui flotte sur le lac de soupe, il pagaye avec ses mains jusque chez lui et : « Mouli-moula, petit moulin arrête-toi ! » Le moulin s’arrête !
L’inondation de soupe met du temps à sécher, à ressuyer. Déjà, une inondation d’eau ce n’est pas facile, mais une inondation de soupe, c’est bien pire ! Le bûcheron décide de ranger son moulin sur l’étagère au-dessus de sa cheminée et de le laisser tranquille. C’est comme le moulin à café, il est toujours rangé sur l’étagère au-dessus de la cheminée. Vous savez pourquoi ? Vous savez pas pourquoi ? Ben moi non plus, c’est pour ça que je demande, comme ça, quand on m’aura dit, je dirai à mon tour.
Un jour, un capitaine de bateau de pêche monte du port et arrive chez le bûcheron. Son bateau a été pris dans une tempête, le mat est cassé et la coque a été abîmée contre des rochers.
– Bûcheron il me faut un bel arbre pour remplacer mon mat.
– Pas de problème capitaine, dès demain matin ce sera prêt !
Dès demain matin ? Le capitaine est très étonné. Quand il a le dos tourné, le bûcheron va chercher son moulin dans son coin : « Petit moulin, il faut me moudre un grand mat et me le moudre bien vite ! » Aussitôt le moulin se met à moudre un grand mât, solide et droit. Juste quand le pointu du pointu du mât est fini, le bûcheron dit : « Mouli-moula, petit moulin arrête-toi ! » Le moulin s’arrête !
Le capitaine revient le lendemain matin et, effectivement, le mât est là. Il est étonné.
– Bûcheron, il me faut aussi des planches solides pour réparer la coque, il me les faut rapidement !
– Pas de problème capitaine, dès demain matin ce sera prêt !
Dès demain matin ? Le capitaine trouve ça étrange, vraiment étrange. Alors il se cache près de la maison, il observe. Il voit le bûcheron sortir le moulin et il entend : « Petit moulin, il faut me moudre des planches solides et me les moudre bien vite ! » Aussitôt le moulin se met à moudre un tas de planches solides. Le capitaine est émerveillé par la magie du moulin. Quand le tas de planches est assez grand, un fort coup de vent fait trembler toutes les feuilles, ça fait un potin des cent diables, si bien que le capitaine n’entend pas la formule magique que le bûcheron dit à son moulin pour l’arrêter.
Le capitaine revient le lendemain matin chercher ses planches. Dès que le bûcheron part à son travail, il rentre dans la maison et vole le moulin. Il repart au port et quand le bateau de pêche est réparé, il prend la mer au plus vite, le moulin magique bien rangé dans sa cabine.
A cette époque, les poissons pêchés sont conservés avec du sel. Mais un marin l’alerte qu’il manque du sel. Le capitaine rigole :
– Pas de problème !
Il va chercher le moulin dans sa cabine : « Petit moulin, il faut me moudre du sel et me le moudre bien vite ! » Aussitôt le moulin se met à moudre du sel. Quand le tas de sel est assez grand, le capitaine dit :
– Petit moulin, arrête !
Le moulin continue de moudre du sel.
– Assez, je t’ai dit d’arrêter !
Le moulin continue de moudre du sel. Le bateau s’enfonce de plus en plus dans l’eau.
– Ça suffit comme ça, stop, y en a trop, le bateau va couler !
Le moulin continue de moudre du sel.
Alors, pour éviter la catastrophe, le capitaine attrape le moulin et le jette le plus loin possible par-dessus bord. Le petit moulin descend, descend, descend, au fond de l’océan si grand. Et comme il n’a pas entendu la bonne formule pour s’arrêter, il continue de moudre du sel, moudre du sel, moudre du sel.
C’est pour ça que, bien que tous les fleuves de la terre apportent de l’eau douce à la mer, bien que toutes les pluies du ciel apportent de l’eau douce à la mer, bien que les hommes eux-mêmes prennent du sel à la mer, elle est toujours aussi salée. Parce que le petit moulin, là-loin, au fond de l’océan si grand, continue de moudre du sel, moudre du sel, moudre du sel.
J’ai animé récemment un stage d’initiation à l’art de conter pour des agents territoriaux. J’ai conté pour eux matin, midi et soir. Les stagiaires m’ont demandé d’avoir accès au texte de certains contes. Bon, ce conte du mois et celui du mois prochain répondent à leur demande.
Le moulin magique a tellement de versions, de bien des pays. Voici ma version de ce conte d’explication. « Mouli-moula, petit moulin arrête-toi ! ». J’ai choisi une formule simple mais quel délice de la répéter avec les auditeurs, grandes ou petites oreilles complices.
01/03/18 : Le portrait
(Inspiré d’un conte traditionnel vietnamien)
A Pont Aven, voilà de cela un long temps, a vécu un peintre dont le talent a éclos très tôt. La renommée a fait venir à lui des gens de très loin. On lui achetait ou on lui commandait particulièrement des portraits, surtout des portraits de femme. Certains ont dit de lui qu’il s’était formé seul à son art, qu’il était fils d’un simple pêcheur. Personne ne sait vraiment qui était sa mère. Bon, mais qu’y a-t-il de vraiment sûr ou certain si ce n’est que les mystères sont nombreux, plus nombreux encore que les grains de sable dans la mer ?
Il était une fois, une fois il était, un pêcheur dans un village du côté de Concarneau. Il prend soin de ses quelques filets et de son canot que sa vigueur et son courage remplissent de bonne pêche. Pour loger, une maisonnette à l’écart. Cette existence simple et laborieuse ne suffit pas à son bonheur. Il souhaiterait avoir une épouse avec qui partager la tendresse des saisons et le feu de sa petite maison. Mais le temps passe.
Un jour, une énorme tempête se lève qui oblige le pêcheur à se réfugier chez lui. Le vent se calme aussi soudainement qu’il est venu. Il est remplacé aussitôt par une brume traversée de lumière qui semble porter un infime parfum de rose ou de lilas. Quand l’homme sort sur le seuil de sa maison, il voit descendre du ciel en ondulant un morceau de fine étoffe de lin léger. Il l’attrape au vol et découvre sur cette étoffe le portrait d’une jolie jeune femme. « Et bien, se dit-il, peut-être est-ce la seule épouse que le destin me réserve. » Il rentre chez lui, accroche la pièce de lin sur le mur.
C’est alors que d’étranges événements remplissent la vie du pêcheur. Quand il rentre chez lui après sa journée, la maison est propre et un repas chaud remplit la salle d’odeur prometteuse. Un matin, il part de bonne heure comme d’habitude. Mais dès la première crique, il amarre son canot et remonte chez lui. En regardant par la fenêtre, il surprend une jolie jeune femme qui s’affaire dans la maison. Sur l’étoffe accrochée au mur, le portrait a disparu ! Le pêcheur entre et, sans réfléchir d’avantage, demande à l’apparition de rester avec lui pour devenir son épouse. La femme ne montre aucune surprise. Elle lui répond simplement que c’est impossible car elle n’appartient pas à ce monde et doit rentrer chaque soir dans les fils de lin. Alors le pêcheur enferme l’étoffe dans un coffre pour que la femme ne puisse pas retourner dans les fils de lin. Il garde la petite clé accrochée à un lacet de cuir autour du cou.
En vérité, à partir de ce jour, le couple vit une existence heureuse. Un fils naît qui grandit sans souci. Très tôt, il dessine du doigt dans le sable, avec un bâton dans la cour. Un jour, à tout juste cinq ans, son père le trouve à dessiner avec un tison éteint, un remarquable visage de femme sur la pierre de la cheminée. Cet enfant montre sans cesse du talent pour le dessin. Passé ses huit ans, il s’intéresse à la couleur, sans que personne lui ait rien appris. Il compose des couleurs douces, nuancées, à partir de terre jaune ou de vase noire, d’algues rouges, de fleurs d’ajonc, qu’il mélange à de l’huile. Il peint sur des galets, sur des bouts de murs, sur des morceaux d’étoffe quand il lui en est donné. Il étonne par la qualité et la vérité de ses œuvres.
Vers ses douze ans, le père décide d’emmener son gars à la pêche afin de lui apprendre le métier et pour avoir de l’aide. Il sent qu’il vieillit, qu’il n’a plus les forces d’avant. Pourtant il constate que son épouse, elle, reste toujours aussi jeune et belle. Le gars se veut obéissant à son père et fait de son mieux. Mais le pêcheur comprend vite que, malgré ses patients conseils, son fils n’a pas vraiment de qualités pour la pêche et sans doute pas le goût non plus. Par contre, dès qu’il a un moment, il se remet à peindre ou à dessiner.
Un jour, un mauvais jour, le pêcheur se sent mal. Il envoie son gars nettoyer les filets. Il se met au lit pour tenter de se réchauffer mais meurt bientôt malgré les bons soins de sa femme. En larmes, elle prend la petite clé qu’il garde accrochée à un lacet de cuir autour du cou. Le fils rentre au soir. Il ne trouve que le corps sans vie de son père. Dans la salle, un infime parfum de rose ou de lilas. Et, près de ce coffre qu’il voit ouvert pour la première fois, il découvre un morceau de lin orné du portrait de sa mère. Il contemple longuement ce portrait. Il le range délicatement dans le coffre. Puis, son père porté dedans la terre, il part pour Pont Aven. Il a entendu dire que dans cette ville, on trouve gens de pinceaux et de couleurs.
On ne sait pas si là-bas il a rencontré le bonheur. Mais la renommée, ça oui, il l’a trouvée ! Certaines personnes restent encore presque envoûtées par la magie de ses œuvres. D’autres dit-on, mais peut-on le croire, respirent mystérieusement, devant ses portraits de femmes, comme un infime parfum de rose ou de lilas.
Une peinture ou un dessin qui devient réalité, voilà un thème que l’on trouve dans bien des contes d’Asie. Et aussi sur d’autres continents. Dans ce conte, l’aller-retour entre la représentation et la réalité confère beaucoup de merveilleux, de mystère aussi. L’odorat est sollicité, alors que c’est un sens qui ne l’est pas souvent dans les contes. Et pourtant, le dessin et la peinture sont au cœur de l’histoire.
Les contes voyagent, les conteurs les font voyager. Je me suis permis d’offrir à ce conte une migration jusqu’en sud Bretagne.
01/02/18 : Le coq et le renard
(Conte traditionnel africain)
Zanimaux comme zhommes, zhommes comme zanimaux.
Zanimaux comme zhommes, zhommes comme ?… Zanimaux !
Il était une fois, une fois il était, un temps d’avant où le coq et le renard sont copains, très copains. Ils passent leurs journées ensemble, discutent ensemble, s’ennuient ensemble. Enfin bref, ils sont copains comme cochons, euh… si on peut dire pour un coq et un renard ! … Personne ne trouve à redire à cette amitié de plume et de poil.
Pourtant, le coq finit par remarquer quelque chose qui le tracasse : quand il s’approche tout près, le renard recule. Il essaie plusieurs fois et, effectivement, toujours le renard fait deux pas en arrière. Le coq se pose des questions. Est-ce que le renard est allergique aux plumes et ne veut pas attraper un rhume ? Est-ce qu’il me voit mieux de loin que de près ? Est-ce que je sens mauvais ? Il finit par interroger le renard :
– Es-tu mon copain oui ou non ?
– Bien sûr, je suis ton copain !
– Pourquoi recules-tu chaque fois que je m’approche ?
– Mais non, tu sais bien que je passe mes journées avec toi.
Pour vérifier, le coq s’approche tout près et le renard fait deux pas en arrière. Il s’approche encore, à nouveau le renard fait deux pas en arrière.
– Tu vois, tu recules quand je m’approche.
Le renard finit par avouer :
– C’est que j’ai peur !
– Mais de quoi as-tu peur ? Je suis ton ami, tu ne crains rien !
– J’ai peur du feu que tu as sur la tête !
– Quel feu sur ma tête ?
– Là, sur ta tête, des flammes rouges !
– C’est ça qui t’effraie ?
– Oui, c’est ça !
– Mais ce n’est pas du feu, c’est juste une décoration pour montrer que je suis le coq, c’est ma crête.
Et le coq se met à caresser sa crête avec son aile pour prouver qu’elle ne brûle pas. Le renard s’approche :
– Est-ce que je peux toucher ?
– Bien sûr !
Le renard tend sa patte prudemment, touche la crête, retire vite sa patte, recommence plus longuement. Il se met à rigoler, à rigoler, à rigoler :
– Qu’est-ce que je suis bête, depuis le temps que j’ai envie de te manger. Mais j’avais peur d’avaler du feu ! Grrrrr, maintenant je peux te manger !
Le renard ouvre grand sa gueule, montrant ses crocs. Il saute sur le coq. Mais le coq a juste de temps de s’envoler dans un grand arbre.
C’est depuis ce temps-là que le coq et le renard ne sont plus copains, mais alors plus copains du tout, du tout, du tout !
Zanimaux comme zhommes, zhommes comme zanimaux.
Zanimaux comme zhommes, zhommes comme ?… Zanimaux !
Quand je raconte des contes d’animaux, j’utilise toujours la même ritournelle en introduction et en conclusion :
- Moi : « Zanimaux comme zhommes, zhommes comme zanimaux ! Zanimaux comme zhommes, zhommes comme ?»
- Réponse des enfants : « Zanimaux ! »
« La Michpolinette – des contes et des chansons de Zanimaux pour les Zenfants » (cf. par ailleurs) est une racontée avec uniquement des animaux. Souvent ces contes ressemblent à des fables qui sont des petites histoires allégoriques prêtant à sourire en donnant une leçon.
Quand on raconte l’histoire du coq et du renard, il est très facile d’éviter les « Le coq dit : … » ou « …, dit le renard » dont la répétition est lourde. Dès le départ, je positionne le coq à gauche et le renard à droite, comme s’ils étaient présents devant moi. Quand je parle du coq ou que le coq parle, je me tourne à gauche en le regardant (et en le voyant mentalement). Même chose à droite quand il s’agit du renard. Le contenu de ce qui est dit plus le positionnement spatial systématique des personnages suffisent à indiquer de qui on parle ou qui parle.
Vraiment, j’adore les contes d’animaux !
01/01/18 : Job le sonneur
(d’après un texte de Eduardo Hughes Galeano)
Il était une fois, une fois il était, Job, musicien connu dans tout le Pays de Redon et même au-delà. Il a sonné dans tant de mariages, tant de veillées, tant de fest-noz. Doigts agiles, souffle puissant, il est virtuose de la fête.
Mais, bien que sonneur de renom, Job n’est vendeur que de vent, le vent qui passe dans ses instruments. On sait bien que le vent ne pèse pas lourd. Aussi, Job est-il plus riche de liberté que d’argent, jamais gêné par le poids de sa bourse. Il court les chemins en chantant, avec son âne qui lui porte son maigre bagage et ses quelques instruments.
Cette nuit-là, de retour d’une veillée, Job s’avance dans un chemin creux. A un moment, une bande de brigands lui tombe sur le râble, le roue de coups et le laisse à moitié estourbi sur le bord du chemin.
Quand Job commence à retrouver un peu ses esprits, il se demande bien ce qu’il peut faire. Il pense à un sien copain, dans un village pas bien loin, qui pourra le secourir. Il réussit à se traîner jusque-là et toque à la porte. Le copain recueille le malheureux couvert de boue et de sang et le soigne du mieux qu’il peut. Quand Job commence à se récopir, Yann le questionne sur ce qui s’est passé. Job répond, le souffle court, la voix rauque :
– Oh, ils ont emporté l’âne… Oh, ils ont emporté les instruments…
Malgré la douleur il sourit :
– Mais ils n’ont pas emporté… la musique !
Pour ce premier jour de l’an, j’ai plaisir à vous proposer ce petit conte que j’aime beaucoup. Je me suis inspiré d’Eduardo Hughes Galeano, écrivain et journaliste uruguayen. Mais je suis incapable de dire où j’ai trouvé le texte de cet auteur que je ne connais pas et qui m’a inspiré. Voilà une dizaine d’année que j’ai écrit ce conte.
Pour cette année 2018, je vous souhaite, quoi qu’il advienne, « de garder la musique ».
01/12/17 : Le trésor du château englouti
(d’après un conte traditionnel)
Il était une fois, une fois il était, un petit d’homme né avec plein de cheveux sur la tête, tout ébouriffés. On l’appelle Jean. Son père est mort peu avant sa naissance. Sa mère se dit que cet ébourriffage sur la tête de Jean va s’arranger en grandissant. Pas du tout ! Elle a beau mouiller les cheveux en crachant dessus avec une petite prière ou encore mettre sur sa tête du jus de framboise avec de la crotte de poule : rien n’y fait ! Les cheveux n’en font qu’à leur tête, c’est le moment de le dire ! Et le gars dessous tout pareil n’en fait qu’à sa tête, vous allez voir… Avec des cheveux comme ça, tout le monde finit par l’appeler « Jean Dépeigné ».
Jean Dépeigné devient pêcheur comme l’était son père. Il a beau travailler dur, la misère leur tient souvent compagnie à la maison. Il porte des vêtements bien fatigués et va pieds-nus, il ne peut même pas se payer une paire de sabots. Il a souvent entendu raconter que, la nuit de Noël, la mer se retire loin, loin, si loin qu’elle découvre un château englouti le restant de l’année. Dans ce château se trouve un sac d’or et une belle fille à marier. C’est au premier coup de minuit que la mer se retire et laisse le passage. Mais attention, au dernier coup de minuit, elle revient vers son pays d’habitude, engloutissant le château et tous les imprudents, les risque-tout, qui ont tenté l’aventure.
Cette année-là, Jean Dépeigné annonce à sa mère qu’il veut tenter sa chance. Elle le supplie de renoncer, il va mourir noyé. Rien n’y fait ! La nuit de Noël, il quitte la maison, pieds nus malgré le froid. Allez savoir pourquoi, sa mère lui a remis le petit cheval de bois avec lequel il jouait enfant. Il se met en chemin vers la plage, éclairé par un croissant de lune.
Bientôt, il entend des plaintes, une petite voix qui appelle : « Aidez-moi, aidez-moi, me voilà tout entravé, emberlificoté. » Il écoute. A nouveau : « Aidez-moi, aidez-moi, me voilà tout entravé, emberlificoté. » Mais la mer l’attend, il n’a pas de temps à perdre. Tout de même, il cherche d’où ça peut bien venir. Il finit par apercevoir un korrigan avec un bonnet rayé, entravé, emberlificoté dans un roncier, tout ficelé par les ronces où il s’est débattu. Jean Dépeigné entreprend de dégager le korrigan. Il s’écorche les mains, déchire ses pauvres vêtements mais, bientôt, le korrigan se trouve délivré.
– Merci Jean Dépeigné. Mais où vas-tu-donc par cette nuit de Noël ?
Jean explique. Le korrigan ouvre son sac et en tire une paire de sabots.
-Tiens, Jean, c’est pour toi, tu en auras bien besoin. Merci grand !»
Jean Dépeigné poursuit son chemin, de bons sabots aux pieds. En haut de la dune, une petite chapelle en pierres tient tête au vent. L’entrée est protégée par un porche où Jean s’abrite en attendant l’heure. Au-dessus de la porte, il regarde le pigeon doré dans le seul vitrail de la chapelle. Ce pigeon doré est comme un copain pour Jean Dépeigné. Quand il a une peine, un doute, il vient en parler au pigeon doré qui ne dit rien bien sûr, mais qui semble l’écouter. A chaque fois Jean s’en trouve réconforté.
Mais voilà le premier coup de minuit, la mer commence à se retirer. Jean Dépeigné aperçoit au loin, éclairé par la lune, le château qui surgit des flots. Il s’élance. Au deuxième coup de minuit, il perd un sabot. Il hésite à s’arrêter mais il le reprend et le remet rapidement. Oh là-là, reverra-t-on le soleil du printemps. Au troisième coup de minuit, il poursuit sa course. Au quatrième coup de minuit, le petit cheval de bois devient un vrai cheval vivant. Jean saute sur son dos et les voilà galopant. Oh là-là, reverra-t-on le soleil du printemps. Au cinquième coup de minuit, il entre dans le château. Au sixième coup de minuit, il trouve le sac d’or et la belle fille à marier. Tous deux repartent sur le cheval vivant. Oh là-là, reverra-t-on le soleil du printemps. Au septième coup de minuit, le cheval est rattrapé par la mer et disparait dans les flots. Au huitième coup de minuit, les deux sabots de bois deviennent deux barques, l’une avec la belle fille, l’autre avec le sac d’or et Jean. Oh là-là, reverra-t-on le soleil du printemps. Au neuvième coup de minuit, la lune disparaît derrière les nuages et Jean ne sait plus où se diriger. Au dixième coup de minuit, le pigeon doré sort de son vitrail et, au-dessus de la plage, vient voler tout brillant. Oh là-là, reverra-t-on le soleil du printemps. Au onzième coup de minuit, Jean aperçoit cette lumière et se laisse guider par elle. Au douzième coup de minuit, les deux barques se posent sur la plage. Le petit cheval de bois arrive à son tour sur le sable à côté d’eux. Le pigeon doré retourne dans son vitrail en planant. Oh là-là, nous reverrons le soleil du printemps.
Aux noces, toute la famille, proche et lointaine, est invitée. Tout le village aussi. Un repas généreux, une belle fête avec des sonneurs de renom. Oh là-là, comme la mariée est belle avec sa couronne de fleurs colorées dans les cheveux ! Pour la première fois, Jean est bien peigné. C’est vérité !
Je suis tombé par hasard, récemment, sur le résumé de ce conte de Noël dans une revue. Je l’ai repris et largement remanié, complété. J’ai atténué le caractère « récupération chrétienne ». Les korrigans sont plutôt les tenants de l’ancienne tradition. Le cheval est important dans bien des mythologies, notamment la mythologie celtique. Inévitablement, ce château englouti m’apporte les effluves iodés de la ville d’Ys.
J’ai gardé le caractère de transition du solstice d’hiver. J’ai marqué la crainte et l’attente : nous sommes au creux de la période sombre mais à la bascule du retour espéré de la lumière. Ressac de la formule avec ses assonances. Comme Jean, la lumière sortira victorieuse.
Bon, mais au-delà de tout ça, on ne fait que « raconter une histoire ». Ce qui compte, c’est le plaisir du merveilleux, la musique des mots, l’émotion, pour le conteur et pour les oreilles qui l’écoutent !