Chaque premier jour du mois, hors juillet et août, je proposerai ici un conte écrit. Ceux que je reprends sont issus de contes traditionnels du monde en général et de la Bretagne en particulier. Je ne les écris ni ne les dis jamais tels que lus ou entendus. Je les remets dans mes mots, dans ma sensibilité, soit en les retouchant un peu, soit en les transformant profondément. Mais je reste attentif à la symbolique du conte.
Quand je peux, j’indique où j’ai trouvé le conte que je vous propose. Mais des fois je ne sais plus trop…
L’écriture de ces contes est simple. Il le faut pour que le futur auditeur puisse suivre sans décrocher. Le conte prend sa pleine puissance, sa pleine vie, grâce à la conteuse, au conteur. Là aussi est la magie !
Au fait, je suis preneur de contes à vous, n’hésitez pas à m’en envoyer à titre de partage. Soit c’est le même conte mais avec une autre version, soit c’est un conte autre à votre manière.
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01/12/17 : Le trésor du château englouti
(d’après un conte traditionnel)
Il était une fois, une fois il était, un petit d’homme né avec plein de cheveux sur la tête, tout ébouriffés. On l’appelle Jean. Son père est mort peu avant sa naissance. Sa mère se dit que cet ébourriffage sur la tête de Jean va s’arranger en grandissant. Pas du tout ! Elle a beau mouiller les cheveux en crachant dessus avec une petite prière ou encore mettre sur sa tête du jus de framboise avec de la crotte de poule : rien n’y fait ! Les cheveux n’en font qu’à leur tête, c’est le moment de le dire ! Et le gars dessous tout pareil n’en fait qu’à sa tête, vous allez voir… Avec des cheveux comme ça, tout le monde finit par l’appeler « Jean Dépeigné ».
Jean Dépeigné devient pêcheur comme l’était son père. Il a beau travailler dur, la misère leur tient souvent compagnie à la maison. Il porte des vêtements bien fatigués et va pieds-nus, il ne peut même pas se payer une paire de sabots. Il a souvent entendu raconter que, la nuit de Noël, la mer se retire loin, loin, si loin qu’elle découvre un château englouti le restant de l’année. Dans ce château se trouve un sac d’or et une belle fille à marier. C’est au premier coup de minuit que la mer se retire et laisse le passage. Mais attention, au dernier coup de minuit, elle revient vers son pays d’habitude, engloutissant le château et tous les imprudents, les risque-tout, qui ont tenté l’aventure.
Cette année-là, Jean Dépeigné annonce à sa mère qu’il veut tenter sa chance. Elle le supplie de renoncer, il va mourir noyé. Rien n’y fait ! La nuit de Noël, il quitte la maison, pieds nus malgré le froid. Allez savoir pourquoi, sa mère lui a remis le petit cheval de bois avec lequel il jouait enfant. Il se met en chemin vers la plage, éclairé par un croissant de lune.
Bientôt, il entend des plaintes, une petite voix qui appelle : « Aidez-moi, aidez-moi, me voilà tout entravé, emberlificoté. » Il écoute. A nouveau : « Aidez-moi, aidez-moi, me voilà tout entravé, emberlificoté. » Mais la mer l’attend, il n’a pas de temps à perdre. Tout de même, il cherche d’où ça peut bien venir. Il finit par apercevoir un korrigan avec un bonnet rayé, entravé, emberlificoté dans un roncier, tout ficelé par les ronces où il s’est débattu. Jean Dépeigné entreprend de dégager le korrigan. Il s’écorche les mains, déchire ses pauvres vêtements mais, bientôt, le korrigan se trouve délivré.
– Merci Jean Dépeigné. Mais où vas-tu-donc par cette nuit de Noël ?
Jean explique. Le korrigan ouvre son sac et en tire une paire de sabots.
-Tiens, Jean, c’est pour toi, tu en auras bien besoin. Merci grand !»
Jean Dépeigné poursuit son chemin, de bons sabots aux pieds. En haut de la dune, une petite chapelle en pierres tient tête au vent. L’entrée est protégée par un porche où Jean s’abrite en attendant l’heure. Au-dessus de la porte, il regarde le pigeon doré dans le seul vitrail de la chapelle. Ce pigeon doré est comme un copain pour Jean Dépeigné. Quand il a une peine, un doute, il vient en parler au pigeon doré qui ne dit rien bien sûr, mais qui semble l’écouter. A chaque fois Jean s’en trouve réconforté.
Mais voilà le premier coup de minuit, la mer commence à se retirer. Jean Dépeigné aperçoit au loin, éclairé par la lune, le château qui surgit des flots. Il s’élance. Au deuxième coup de minuit, il perd un sabot. Il hésite à s’arrêter mais il le reprend et le remet rapidement. Oh là-là, reverra-t-on le soleil du printemps. Au troisième coup de minuit, il poursuit sa course. Au quatrième coup de minuit, le petit cheval de bois devient un vrai cheval vivant. Jean saute sur son dos et les voilà galopant. Oh là-là, reverra-t-on le soleil du printemps. Au cinquième coup de minuit, il entre dans le château. Au sixième coup de minuit, il trouve le sac d’or et la belle fille à marier. Tous deux repartent sur le cheval vivant. Oh là-là, reverra-t-on le soleil du printemps. Au septième coup de minuit, le cheval est rattrapé par la mer et disparait dans les flots. Au huitième coup de minuit, les deux sabots de bois deviennent deux barques, l’une avec la belle fille, l’autre avec le sac d’or et Jean. Oh là-là, reverra-t-on le soleil du printemps. Au neuvième coup de minuit, la lune disparaît derrière les nuages et Jean ne sait plus où se diriger. Au dixième coup de minuit, le pigeon doré sort de son vitrail et, au-dessus de la plage, vient voler tout brillant. Oh là-là, reverra-t-on le soleil du printemps. Au onzième coup de minuit, Jean aperçoit cette lumière et se laisse guider par elle. Au douzième coup de minuit, les deux barques se posent sur la plage. Le petit cheval de bois arrive à son tour sur le sable à côté d’eux. Le pigeon doré retourne dans son vitrail en planant. Oh là-là, nous reverrons le soleil du printemps.
Aux noces, toute la famille, proche et lointaine, est invitée. Tout le village aussi. Un repas généreux, une belle fête avec des sonneurs de renom. Oh là-là, comme la mariée est belle avec sa couronne de fleurs colorées dans les cheveux ! Pour la première fois, Jean est bien peigné. C’est vérité !
Je suis tombé par hasard, récemment, sur le résumé de ce conte de Noël dans une revue. Je l’ai repris et largement remanié, complété. J’ai atténué le caractère « récupération chrétienne ». Les korrigans sont plutôt les tenants de l’ancienne tradition. Le cheval est important dans bien des mythologies, notamment la mythologie celtique. Inévitablement, ce château englouti m’apporte les effluves iodés de la ville d’Ys.
J’ai gardé le caractère de transition du solstice d’hiver. J’ai marqué la crainte et l’attente : nous sommes au creux de la période sombre mais à la bascule du retour espéré de la lumière. Ressac de la formule avec ses assonances. Comme Jean, la lumière sortira victorieuse.
Bon, mais au-delà de tout ça, on ne fait que « raconter une histoire ». Ce qui compte, c’est le plaisir du merveilleux, la musique des mots, l’émotion, pour le conteur et pour les oreilles qui l’écoutent !